Anne Hébert écrit...
Écrire un poème s'est tenter de faire venir au grand
jour quelque chose qui est caché. Un peu comme une source souterraine qu'il
s'agirait d'appréhender dans le silence de la terre. Le poète est une sorte de
sourcier, sans baguette de coudrier, ni aucune baguette magique, qui se
contente d'être attentif (à la pointe extrême de l'attention), au cheminement
le plus lointain d'une source vive. La moindre distraction de sa part suffirait
pour que disparaisse et se cache ailleurs ce souffle d'eau dans le noir, cette
petite voix impérieuse qui cogne contre son coeur et qui demande la parole.
Boréal Compact.
La ferveur ne suffit pas, il faut la patience
quotidienne de celui qui attend et qui cherche, et le silence et l'espoir, sans
cesse ranimés, au bord du désespoir, afin que la parole surgisse, intacte et
fraîche, juste et vigoureuse. Et alors vient la joie.
Le poète est au monde deux fois plutôt qu'une. Une
première fois il s'incarne fortement dans le monde, adhérant au monde le plus
étroitement possible, par tous les pores de sa peau vivante. Une seconde fois
il dit le monde qui est autour de lui et en lui et c'est une seconde vie aussi
intense que la première.
L'imaginaire est fait du noyau même de notre être avec
tout ce que la vie, au cours des années, a amassé de joie et de peine, d'amour
et de colère, tandis que la terre qui nous entoure fait pression, dans sa
puissance énorme, et s'engouffre et il y a passage du dehors au dedans et du
dedans au-dehors, échange et jubilation. Le poète saisit sa propre vie à deux
mains, au moment même où l'univers sauvage bascule en lui. La parole, empoignée
de toutes parts, est dite, surprenante et de naissance inconnue, pourrait-on
croire, tant l'événement nous dépasse et nous enchante. p. 97 Oeuvre poétique 1950-1990.
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