Alain (Émile Chartier) (1868-1951) Propos sur le bonheur (1928)

Bucéphale

8 décembre 1922

Lorsqu'un petit enfant crie et ne veut pas être consolé, la nourrice fait souvent les plus ingénieuses suppositions concernant ce jeune caractère et ce qui lui plaît et déplaît ; appelant même l'hérédité au secours, elle reconnaît déjà le père dans le fils ; ces essais de psychologie se prolongent jusqu'à ce que la nourrice ait découvert l'épingle, cause réelle de tout.

Lorsque Bucéphale, cheval illustre, fut présenté au jeune Alexandre, aucun écuyer ne pouvait se maintenir sur cet animal redoutable. Sur quoi un homme vulgaire aurait dit : « Voilà un cheval méchant. » Alexandre cependant cherchait l'épingle, et la trouva bientôt, remarquant que Bucéphale avait terri­blement peur de sa propre ombre ; et comme la peur faisait sauter l'ombre aussi, cela n'avait point de fin. Mais il tourna le nez de Bucéphale vers le soleil, et, le maintenant dans cette direction, il put le rassurer et le fatiguer. Ainsi l'élève d'Aristote savait déjà que nous n'avons aucune puissance sur les passions tant que nous n'en connaissons pas les vraies causes. ...

ne dites jamais qu'ils ont tel caractère. Cherchez l'épingle.



Commentaires

Hélène a dit…
C'est drôle, mon petit doigt me disait de venir par ici. Et je trouve ce texte. C'est vraiment très intéressant, et je pense que ça pourra m'être utile aujourd'hui (parce que certaines choses familiales et amicales me blessent). Merci pour ce partage.
Ginette a dit…
Heureuse que mes propos puissent être utiles à quelqu'un.

Tu vois qu'on ne finit jamais de chercher la voie du bonheur
Hélène a dit…
Oui, cette recherche est un travail quotidien...
Ginette a dit…
Pourquoi as-tu fait disparaître ton billet?
Hélène a dit…
Je ne sais pas. J'ai eu tort, mais j'ai soudain ressenti que ma colère ne servait à rien, et j'ai agi sur un coup de tête... C'est un peu idiot.
Véronique a dit…
Je n'avais pas vu. Pas avant aujourd'hui.

Texte intéressant, mais l'épingle se trouve parfois bien cachée.

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