La mémoire des mots

Je lis des livres que peu de monde lise ou bien je suis en retard sur tout le monde pour la lecture. Venise dirait qu'elle est à contre-courant. Pourquoi je dis cela ? Et bien c'est parce que j'ai pu le renouveler facilement à la bibliothèque . 
J'ai hésité un moment : pourquoi lire sur la maladie d'Alzheimer ? Dans le fond, c'est parce que je veux savoir. Ne pas lire voulait dire avoir peur. Plus on avance en âge, plus on a peur... de la dégénérescence, déjà que le corps en prend pour son rhume s'il fallait que la tête aussi.
Ce livre confirme ce que je savais déjà. Se voir perdre la tête pendant dix ans... Devenir dément comme ils disent.
Sur le plat verso du livre, on lit ceci:
Ce livre raconte l’aventure unique d’une femme qui fait un pied de nez à l’oubli et à l’Alzheimer. Pendant plus de dix ans, elle élabore une stratégie instinctive et passionnée pour s’accrocher à la joie d’être présente en dépit de tout. Alors que le cortège des atteintes de la démence l’entraîne vers le silence, elle jalonne ses jours de réflexions lumineuses sur l’enfance, l’amour, la vieillesse, la folie, le réel et l’imaginaire, la maladie, le désespoir et la sérénité. Tout est noté. Tout est rapporté fidèlement.

À travers ses égarements, cette maman autodidacte apprend à son fils écrivain quelque chose d’essentiel sur le pouvoir des mots et sur le métier de vieillir.

«  En 1999, je commençais à prendre des notes à partir des propos de ma mère qui perdait de plus en plus ses repères. Au départ, je savais que sa vie allait lentement se vider d’elle-même.
C’est un terrible chemin de croix. Mais je ne devinais en rien la profonde et salutaire communion qui nous attendait.
Tout ce qui reste n’est pas destiné au vide ou à l’oubli. »

Poète, conteur et romancier, Jacques Boulerice est né à Saint-Jean-sur-Richelieu. Son œuvre compte près d’une vingtaine d’ouvrages. En 1986, il recevait le Prix Québec-Paris pour son recueil Apparence (Belfond). Parmi ses publications, notons Le vêtement de Jade (l’Hexagone, 1992), Débarcadères (l’Hexagone, 1996), Reliquaire (avec Madeleine Ghys, l’Hexagone, 2002), Éphéméride (La Veuve noire, 2006).

240 pages, 21.5 x 14, 24.95 $, 22 €, ISBN 9782762128536

Quelques extraits du livre:

Alice dit à son fils: Tu sais ce qui me rend triste? C'est pas d'oublier ce qui s'est passé hier. Des fois, c'est de trop me souvenir de ce qui s'est passé il y a longtemps.

L'Alzheimer est une épouvantable machine à voyager dans le temps. Je cherche les clés, les mots clés qui font apparaître le même visage à des âges différents. Je tente de deviner quel âge a ma mère en cet instant.
Je l'écoute me raconter un présent qui a presque cinquante-six ans.
Elle regarde un album avec son fils, un album qui "retrace les étapes les plus lumineuses de sa vie en larges strates. Des noms, des lieux identifiés, une date sous chaque photo." Et constamment elle revient sur les lieux de son enfance à St-Jude .
Elle dit: Je sais bien que ma maladie fait que les choses nouvelles ne s'accrochent plus beaucoup dans ma tête. Je sais bien. Mais là, c'est une autre affaire. Tu es assis, là, à côté de moi. On regarde des photos prises n'importe où,à Montréal, à St-Jean...Mais il faut que je fasse un effort, un gros effort, pour me ramener ça dans le coco....Me ramener dans le coco que nous ne sommes pas à St-Jude, que tu es là, que c'est toi et qu'il n'y a pas de rapport avec Saint-Jude. Je me dis ça. Mais si tu tournes la page, la prochaine photo, je vais tout de suite me dire que celle-là vient de là-bas.
L'auteur dit: Maman se démène pour comprendre ce qui se passe en elle et pour faire des phrases qui explorent la maladie avant qu'il soit trop tard.
Mais elle a de plus en plus des idées fixes, elle en est consciente et n'arrive pas à s'en sortir comme ces disques en vinyle  qui restaient pris dans un sillon endommagé. Et de plus en plus sa vie se détériore. Jusqu'à ne plus reconnaître son fils.


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